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Trou d’un coup
06-04-2021

Trou d’un coup

Charles Richer

 

Un fils amène sa mère au Cap-Breton pour concrétiser son rêve de jouer la partie parfaite

Par Darcy Rhyno

Un air chargé de brume s’échappe du détroit de Northumberland, s’engouffre sur les dunes du parcours Cabot Links et gravit les falaises du parcours Cabot Cliffs. Des nuages sombres encore freinés par les pentes douces des hautes terres du Cap-Breton menacent de livrer de la pluie. Le vent souffle fort, et les bateaux de pêche amarrés au quai du minuscule port d’Inverness – retenus par un simple cordage – dansent au gré des flots.

 

Nous sommes au premier trou du parcours Cabot Links. Ma mère de 75 ans resserre son coupe-vent à la taille. « Voilà une journée parfaite pour une partie de golf », déclare-t-elle entre deux rafales.

 

Ce séjour est un cadeau que je lui offre. Elle joue au golf depuis des années : huit mois ici au Canada et les quatre autres en Floride, où elle passe habituellement l’hiver. Elle a souvent rêvé du parcours parfait, et c’est à Cabot Links que son rêve va enfin se concrétiser.

 

Vêtue d’une nouvelle tenue achetée pour ce voyage exceptionnel, elle a tout l’air d’une golfeuse chevronnée. Un parcours aussi exposé aux caprices de l’océan ne devrait pas s’entreprendre jambes nues et avec un léger coupe-vent, mais rien ne l’empêchera de venir à bout de ces 18 trous. En fait, la météo renforce sa détermination. Elle s’installe sur le tertre de départ et s’élance.

 

C’est le littoral accidenté de la Nouvelle-Écosse qui a contribué à hisser Cabot Links et Cabot Cliffs au rang des 10 ou 20 parcours d’exception à l’échelle mondiale. Le paysage et le climat d’ici sont presque un miroir parfait de ceux de St. Andrews, en Écosse, lieu de naissance du golf. Ma mère et moi allons faire les deux parcours, mais c’est celui-ci qu’elle attend avec le plus d’impatience. Si plusieurs se targuent d’être des « links », des parcours en bord de mer, peu d’entre eux sont aussi fidèles à leur promesse que Cabot Links.

 

Le golf a été inventé il y a 600 ans en Écosse, et on jouait alors sur des « links », des terres et dunes côtières qui servaient aussi de pâturages dans les communautés. L’herbe y était toujours courte grâce aux bêtes qui se chargeaient de l’entretien de ces terres vallonnées. Il y avait peu d’obstacles d’eau et moins d’arbres encore. Il se trouve que ces caractéristiques que l’on trouvait à la naissance du jeu sont celles avec lesquelles ma mère excelle. Son angle d’attaque est meilleur bas et elle propulse la balle plus loin sur un parcours de type « links » que dans l’herbe plus haute et touffue d’un parcours « fairways ».

 

Nous en sommes au cinquième trou, et pour une fois, je suis en tête. Le vent humide nous transperce jusqu’aux os. Je prête ma veste à ma mère et nous continuons. Nous donnons les coups de départ à contrevent et essayons de nous sortir de fosses si ensablées qu’elles n’ont d’égal que le diabolique quatorzième trou « Hell Bunker » du parcours Old Course à St. Andrews. Je ne m’attends pas à garder mon avance. C’est sa journée, et ma mère est combative.

 

« C’est ça, le golf, note-t-elle. Ce parcours ressemble à celui sur lesquels jouent les professionnels qu’on voit à la télé. »

 

Nous terminons le parcours qui nous a conduits jusqu’au restaurant Panorama et aux logements de luxe avec vue sur le vert du dix-huitième trou. Ma mère avait repris la tête et a gagné haut la main.

 

Je réchauffe ma carcasse au restaurant Panorama avec un petit verre de whisky single malt Glen Breton fabriqué à quelques kilomètres d’ici, à la distillerie Glenora. Ma mère opte pour un verre de vin rouge de la vallée de l’Annapolis, en Nouvelle-Écosse. Nous commandons à souper et observons les golfeurs au dernier vert juste en dessous de nous.

Le soleil émerge soudain à l’horizon, au-dessus de l’eau, nous laissant un petit espoir que la météo soit meilleure le lendemain. Nous avons prévu de nous attaquer au parcours Cabot Cliffs, juste à côté. La journée s’annonce mémorable, et nous croisons les doigts pour que des rayons de soleil se pointent à l’aube. Ma mère est souriante, ce qui me fait dire que je viens de gagner le titre de « meilleur fils au monde ». Nous portons un toast à la concrétisation d’un rêve : enchaîner les parcours d’exception.

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