06-06-2019
La face cachée de la Toscane
Charles Richer
Tout a l’air si irréel. On se croirait tout droit sorti d’un vieux film de Federico Fellini. L’air est un peu trop léger, nos ventres sont bien repus et nos joues sont rosies par le vin d’après-midi. Qu’importe, nous nous entendons tous pour dire que nous vivons La Dolce Vita – la belle vie!
Je me glisse dans une vieille Volkswagen des années 1960, achetée auprès de la famille Gucci – oui, oui, LA famille Gucci –, dans laquelle se trouve un ami toscan, Matteo Carri, son frère, Marco, et deux de leurs amis; tous prêts à zigzaguer entre les collines toscanes. Nous nous arrêtons pour dîner dans une ville peu répertoriée dans les guides de voyage, où nous mangeons dans un restaurant sans site Web ni présence sur les médias sociaux. Puis, nous repartons en direction d’un vignoble sous les rayons dorés du soleil de fin d’après-midi. Un ami nous y attend, et nous consacrons le reste de la journée à notre passe-temps préféré : manger et boire.
Je suis en plein cœur de la Toscane, mais pas celle à laquelle vous pensez, caractérisée par les chemins achalandés et labyrinthiques près de Florence, ou la Palio de Sienne, une course équestre qui a lieu deux fois l’an. Ici, nous sommes plutôt dans une Toscane secrète : des villages inconnus, de minuscules restaurants qui passent inaperçus près de la rivière et des chefs qui cuisinent certains des meilleurs plats jamais mangés.
Le lendemain de mon arrivée, Matteo est venu me chercher à Florence pour m’emmener à l’extérieur de la ville, en traversant une succession de rues – de l’autoroute à la route, puis de la route à la pierre et à la terre, pour finalement terminer notre chemin à sa ferme familiale. Je me suis réveillé le matin suivant dans une tour médiévale, jouxtée à la maison des invités enveloppée dans les vignes et les oliviers. La noirceur de la veille m’avait masqué cette beauté.
Après avoir marché vers la maison de Matteo, nous repartons de plus belle pour le restaurant Trattoria l’Pepolino, juché à l’extrémité du vieux pont Medici dans la ville médiévale de Pontassieve. La présence d’un ami est fort utile, mais elle n’est pas essentielle au voyageur de passage. La ville se trouve à moins d’une demi-heure de Florence en train, lequel s’y rend jusqu’à deux fois l’heure, et ses rues pavées se parcourent facilement à pied.
Assis à une table toute simple, nous consultons les menus rédigés à la main qui nous présentent les différents plats – primi, secondi, contorni, dont certains sont simplement rayés pour indiquer qu’ils ne sont plus au menu.
Matteo nous explique que les Toscans traditionnels ne s’en font pas avec le raffinement; ils cuisinent des plats de groupe. « On apprête moins d’ingrédients, mais on les choisit plus frais », nous raconte-t-il, pendant que le serveur nous verse du vin rouge que Matteo a dû commander dans son italien saccadé à notre arrivée. « La plupart des plats proviennent de la tradition paysanne. »
Nous commandons des pâtes nappées d’une riche sauce bolognaise – la meilleure sauce à la viande de ma vie – et toutes sortes de spécialités gastronomiques. La table s’est vite recouverte de plats fumants. À la fin du repas, nous retournons à bord de la camionnette pour parcourir les collines jusqu’à la Fattoria Selvapiana où le vigneron, Fernando Orsini, nous attend.
Autrefois utilisés comme tours d’observation médiévales pour protéger le territoire florentin, les bâtiments du vignoble ont ensuite hébergé les évêques de Florence jusqu’à ce que la propriété soit acquise par un riche banquier en 1827, puis convertie en vignoble. Selvapiana est un chef de file dans la culture du sangiovese. Il produit notamment le Bucerchiale, un chianti tiré d’un seul vignoble, qui, soit dit en passant, est le vin même que nous avons dégusté durant le repas.
Aimable et dynamique, Fernando – que Matteo appelle simplement Nando – nous fait découvrir son vaste vignoble, ses fûts de chênes et de cerisiers, ses portraits d’aristocrates et ses fresques centenaires, dont certaines ont peut-être été touchées par Léonard de Vinci, un garçon du coin. Nous terminons notre visite par une dégustation au cours de laquelle Nando nous sert de généreuses portions de ses vins.
La journée se termine finalement de l’autre côté du pont Medici, de retour à Pontassieve. Nous sommes installés à l’une des cinq tables d’un autre petit restaurant, La Tana di Ugo, et rapidement, la nourriture et le vin recouvrent la table. D’abord, des fromages et des pâtes, puis le plat de résistance : le steak florentin saignant, épais et juteux, recouvert de copeaux de truffes.
« Cette nourriture, précise Matteo entre deux bouchées, n’était pas réellement pour les paysans, mais plus pour les propriétaires terriens ». Ce soir, alors que le vin coule à flots et que je déguste un des meilleurs bœufs au monde, je ne me sens pas comme un aristocrate, mais bien comme un roi.
Par Tim Johnson, pour le magazine Bons vivants